« Les Juifs ne sont pas seulement nos ancêtres, mais nos frères. Notre origine est la même, notre langue est presque commune, notre père est leur père. Nous sommes fiers d’appartenir à la même race. Nous devons tout au judaïsme, nos enseignements sont tirés de leur loi sacrée. Notre foi est similaire. Nous aimons le même Dieu. Nous aimons Jérusalem autant qu’ils l’aiment. Nous voulons sincèrement que notre relation avec eux soit constante et toujours fructueuse. Nous nous aidons les uns les autres et nous espérons de tout notre cœur que Dieu va délivrer les Juifs opprimés de ces persécutions dont ils sont l’objet. Nous exprimons nos meilleurs vœux que tous les Juifs soient assurés de paix et de tranquillité, parce que nous sentons combien leur amour pour nous est sincère et précieux ».
— Discours du Patriarche Antoine Arida en 1937.
Les Juifs libanais étaient francophiles
L’Alliance israélite universelle établit à Beyrouth une école pour garçons en 1869 et une autre pour filles en 1878. Leur orientation était laïque et le français était la seule langue d’enseignement. De ce fait, les Juifs libanais étaient forcément francophiles et francophones.
La présence juive au Liban remonte à l’époque biblique. Les premiers Juifs se seraient établis dans la montagne vers 1000 av. J-C. La Bible témoigne de rapports légendaires mais excellents entre Salomon et Hiram, roi de Tyr, qui partageaient la même langue et la même culture, sinon la même religion.
En des temps immémoriaux (un demi-siècle), tous les dignitaires de la République du Liban se retrouvaient à la synagogue de Wadi-Bou-Jmil pour fêter la Pâque juive.
En 1920, les Juifs du Liban accueillirent la proclamation du nouvel Etat libanais avec autant d’enthousiasme que les Maronites.
Alors que les Juifs s’étaient fortement impliqués dans les partis communistes en Egypte, Irak et Palestine, ils n’y jouèrent aucun rôle au Liban, fait remarquer Kristen Schulze (1), « car ils n’avaient peu ou pas de conscience sociale. Marchands ou financiers, ils avaient complètement intégré les valeurs de la bourgeoisie beyrouthine ».
Deux journaux juifs virent le jour à cette époque, Al ‘Alam al Isra’îli, fondé en 1921 par Eliahu Salim Mann, et le Commerce du Levant, magazine économique, fondé un peu plus tard par Toufic Mizrahi et qui n’a cessé de paraître depuis.
En 1937 l’afflux de réfugiés incita les responsables de la communauté à demander l’autorisation pour les Juifs allemands de s’installer au Liban.
Condamnation du traitement infligé aux Juifs par les nazis
Le patriarche Arida condamna vigoureusement le traitement infligé par les nazis aux Juifs d’Allemagne dans une lettre pastorale publiée par l’Orient et dans une déclaration à l’Aurore. Les responsables des autres communautés s’exprimèrent à l’unisson.
Les restrictions anti-juives imposées par Vichy au Liban furent levées par le général Catroux. Le président Alfred Naccache vint lui-même à Magen Avraham rendre hommage à la communauté qui exprima sa loyauté sans faille à l’égard du Liban.
Eliminer un obstacle, les musulmans shiites du sud Liban
En 1943, Bishara al Khoury, premier président libanais après l’indépendance, demanda à l’Agence juive de l’aider à éliminer un « obstacle » et un « danger pour nos deux pays », les musulmans shiites de Jabal Amil, la forte position shiite au sud Liban.
Anecdote, en 1946, alors que les frontières étaient toujours ouvertes entre le Liban et la Palestine, les autorités mandataires britanniques avaient refusé à Ben Gourion l’autorisation de voyager. Un agent de voyage juif de Beyrouth affréta alors un avion de la MEA, un DC-3 Dakota, au bord duquel s’embarquèrent Ben Gourion, Moshé Sharett et Golda Meir pour assister en Suisse à un congrès sioniste.
Un accord secret de 1946 pour la création d’un Etat juif en Palestine
Le 30 mai 1946, un traité secret (3) est conclu entre le Patriarche Arida et l’Agence juive présidée par ChaIm Weizmann. Les Juifs se voient reconnaître le droit de créer un Etat en Palestine, tandis que le caractère chrétien et indépendant du Liban est reconnu (pour le texte de l’accord: Eisenberg, 1994, p. 167-169).
Mais au grand désespoir des officiels israéliens, les Juifs libanais restèrent opposés à l’alya. Alors que beaucoup de Juifs syriens, iraniens, irakiens ou turcs transitaient par le Liban pour se rendre en Palestine, les Juifs libanais n’envisageaient leur avenir qu’au sein de l’Etat libanais. Leur sympathie pour Israël n’était jamais suffisamment forte pour contrebalancer leur attachement à la vie levantine. Ils ne se sentaient guère menacés, conscients du fait qu’ils étaient des citoyens libanais à part entière.
On trouvait des Juifs aussi bien dans l’armée libanaise que dans la milice Kataeb (82% de maronites, 2% de Juifs). Au moment des législatives, l’électorat juif pesait de tout son poids en faveur de Joseph Chader, candidat arménien des Kataeb, dont la popularité au sein de la communauté n’a jamais été démentie.
Le Liban, seul Etat arabe à voir augmenter le nombre de juifs après la création d’Israël
Le nombre de Juifs augmenta encore en 1948 avec l’afflux des réfugiés en provenance d’Irak et de Syrie, qui obtinrent tous des autorisations de séjour, mais ne furent pas naturalisés. En fait, la guerre de 1948, loin d’avoir des effets négatifs sur les Juifs libanais, favorisa encore leur essor démographique (de 5000 en 1948 à 9000 en 1951), si bien que le Liban fut le seul Etat arabe à voir augmenter sa composante juive après la création d’Israël.
Il est intéressant aussi de noter que l’armée libanaise, qui avait participé à la première guerre israélo-arabe, comptait de nombreux Juifs dans ses rangs. Toutefois, au plus fort de la tourmente, les étudiants juifs de l’AUB furent sommés de quitter l’établissement « pour leur bien » et par peur de réactions antisémites. « En revanche », affirme l’auteur, qui a scrupuleusement vérifié les archives, « à l’USJ, tous les Juifs, sans distinction de nationalité, étaient invités à demeurer sur place. On comptait parmi eux 20 Juifs palestiniens ».
Des changements inévitables devaient résulter des hostilités de 1948
- Le journal juif Al Alam al Isra’îli changea de nom pour devenir As Salâm.
- Les fêtes juives ne furent plus officiellement chômées.
- Les organisations caritatives juives ne furent plus soutenues par l’Etat.
- Le mouvement de jeunesse Maccabi fut déclaré illégal, ses propriétés confisquées.
- Beaucoup de jeunes partirent alors rejoindre le parti Kataeb.
- Plusieurs officiers juifs de l’armée choisirent de démissionner, mais aucun Juif ne fut sommé de quitter une charge officielle.
- Aucun poste ne fut refusé aux citoyens juifs, qui continuaient d’occuper les leurs dans les ministères, les municipalités ou à la Chambre des députés.
En comparaison, la communauté juive syrienne passa de 30 000 à 5 000 membres en quelques années. Plus de 6000 juifs syriens s’établirent au Liban, dont la totalité ou presque des Juifs d’Alep.
Le conflit de 1958 décida les Juifs arabes réfugiés au pays à quitter leur havre libanais pour rejoindre l’Europe, les USA, l’Amérique du Sud, plus rarement Israël. Avec un passé historique très différent, les Juifs libanais demeuraient attachés à leur pays. Mais la détérioration de la sécurité entamera la confiance des plus optimistes.
En 1967, leur nombre avait diminué de moitié, passant de 14000 à 7000 âmes.
Après la guerre des 6 jours, il n’en restait plus que 3000. Les rares officiers juifs quittèrent l’armée. Deux banques juives demeuraient toutefois en activité : la Banque Safra et la Banque Zilkha qui changea son nom en Société Bancaire du Liban.
La tornade qui s’abattit sur le pays en 1975 balaya espoirs et certitudes. Ecoles et synagogues furent fermées, le quartier de Wadi-Bou-Jmil déserté.
Pour la première fois et comme tous leurs concitoyens, les juifs se sentaient en danger physique.
Les milices chrétiennes essayèrent d’atteindre Wadi-Bou-Jmil pour porter secours aux Juifs pris dans la nasse. Mais les forces palestiniennes de Yasser Arafat et leurs alliés furent les premières à investir le quartier… Plus de 200 Juifs furent tués au cours des hostilités…
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info et sources citées.
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